dimanche 4 novembre 2007

Que penser de l'application de la loi de 1905 et de la séparation de l'église et de l'état?

La République, les cultes et le fait religieux, par Stéphanie Le Bars LE MONDE 03.11.2007 Hasards du calendrier ou choix délibéré d'apparaître là où on ne les attend pas ? Les semaines qui viennent de s'écouler ont donné au président de la République et aux ministres du gouvernement l'occasion de montrer toute l'attention qu'ils portent aux représentants des principaux cultes présents en France et de souligner la place qu'acquiert le fait religieux dans le débat social, voire politique. La séquence a commencé le 15 septembre. Ce jour-là, le premier ministre, François Fillon, assiste au Mans à la béatification d'un prêtre. Le lendemain, Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur chargée des cultes, accompagnée du ministre de l'éducation nationale, Xavier Darcos, suit à Bordeaux la béatification d'une jeune religieuse morte au XIXe siècle. Des présences ostentatoires et recueillies pour des célébrations jusqu'alors organisées au Vatican, et auxquelles la participation d'un représentant de l'Etat français passait davantage inaperçue. Dans le même temps, les fêtes juives de Rosh ha-Shana et la célébration de Yom Kippour ont vu Nicolas Sarkozy, en compagnie de Rachida Dati, la ministre de la justice, se rendre à la Grande Synagogue de la Victoire, à Paris - une première pour un chef de l'Etat en exercice -, tandis que la ministre de l'intérieur exprimait à la communauté juive ses meilleurs voeux pour la nouvelle année. Simultanément s'ouvrait le mois de jeûne du ramadan. Si la cérémonie de rupture de jeûne est devenue depuis quelques années un passage obligé pour des élus locaux soucieux d'apparaître auprès de "leur" communauté musulmane, l'iftar a, cette année, séduit une quantité impressionnante de personnalités politiques, parmi lesquelles plusieurs ministres d'origine musulmane. La Grande Mosquée de Paris, lieu "officiel" de l'islam de France a, de manière également inédite, accueilli un président de la République en fonction, accompagné de Fadela Amara, secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville. M. Fillon, Rama Yade, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères et aux droits de l'homme, ainsi que Mme Alliot-Marie ont aussi répondu à l'invitation des responsables musulmans. Enfin, lors de sa venue en France, début octobre, Alexis II, le patriarche orthodoxe de Moscou, a été reçu en grande pompe par M. Sarkozy, tandis que Mme Alliot-Marie, contrainte à une posture plus diplomatique que cultuelle, se rendait à son invitation à la résidence de Russie. La proximité de responsables politiques avec les représentants des communautés religieuses n'est pas un phénomène nouveau ; les élus considérant parfois, à tort ou à raison, les groupes religieux comme de potentiels viviers d'électeurs. Mais la multiplication actuelle de ces liens, aussi formels qu'ils puissent paraître, dit autre chose : elle souligne la relation décomplexée qu'entretiennent désormais les responsables politiques avec les cultes. Toutes confessions confondues, les représentants religieux l'ont bien compris, qui se félicitent d'une même voix de cette évolution. "Ces rapports sont une bonne chose pour les religions, une bonne chose pour la société ; ils montrent que le religieux fait partie intégrante de la vie sociale", estiment plusieurs de leurs représentants. Les récentes prises de position des responsables catholiques et protestants sur le projet de loi relatif à l'immigration constituent la dernière illustration de cette immixtion assumée dans les débats de société. Cette nouvelle conception doit sans doute beaucoup à l'actuel président de la République, qui, contrairement à ces prédécesseurs, a de longue date reconnu l'utilité des religions dans le débat, voire le contrôle social. Elle correspond aussi au message envoyé par Mme Alliot-Marie aux représentants des cultes peu après sa prise de fonctions au ministère de l'intérieur, dans lequel elle insistait sur le rôle des religions dans la société, notamment "auprès des jeunes", affirmant que "les religions ont vocation à éclairer la société". EMPATHIE AFFICHÉE Pourtant, à y regarder de près, il apparaît que les discours tenus aux uns et aux autres n'ont pas exactement la même teneur, l'islam conservant, dans cette nouvelle approche, une place à part. Aux chrétiens en général et aux catholiques en particulier, convaincus durant des années d'avoir été "délaissés" au profit des autres cultes, les discours actuels redonnent effectivement une place. L'empathie affichée de plusieurs membres du gouvernement pour le monde catholique conforte ces liens. La présence massive de ministres (six) autour de M. Sarkozy, lors des obsèques du cardinal Jean-Marie Lustiger en août, a marqué, de manière symbolique, cette proximité retrouvée. Dans un tout autre registre, les messages récemment adressés aux représentants de la communauté juive ont insisté sur la lutte contre l'antisémitisme et les efforts des pouvoirs publics pour protéger ses membres. Débordant d'un cadre strictement religieux, ce discours de réconfort, destiné à confirmer l'importance de la communauté juive dans la société, a été, là aussi, publiquement salué et apprécié par ses représentants. En quête de notabilité, les musulmans se sont également satisfaits des marques de reconnaissance reçues ces dernières années. Mais ici la (géo)politique empiète régulièrement sur le religieux, et les messages louant la capacité des musulmans de France à s'intégrer dans le pacte républicain se doublent presque systématiquement de conseils et de mises en garde. Ce fut encore le cas, le 1er octobre, lors de la visite du président de la République à la Grande Mosquée de Paris. "Grâce à vous, grâce à votre manière de débattre avec l'ensemble de la société, notre pays est aussi celui où l'islam, vécu au quotidien, apparaît comme compatible avec les valeurs de laïcité, de tolérance, de respect des personnes", a commencé M. Sarkozy, devant un parterre de représentants religieux ravis de l'éloge. Changeant de ton et s'adressant tout autant à l'opinion publique qu'à ses hôtes, il a poursuivi en menant une charge contre "l'extrémisme musulman", s'engageant à "expulser du territoire", "ceux qui bafouent l'islam" ; avant de terminer sur un avertissement : "Je suivrai avec attention les élections prévues au Conseil français du culte musulman en 2008, car le CFCM n'est plus uniquement l'affaire des musulmans. Il est un facteur d'intégration et d'apaisement." La République, dans le respect de la loi de 1905 et du principe de laïcité, doit garantir à tous les cultes la liberté d'exercice. Au-delà de ce devoir, peut-elle dire et faire dire aux religions autre chose ? Article paru dans l'édition du MONDE DU 03.11.07.