dimanche 6 avril 2008

Les salariés tiennent aux syndicats


[ 11/03/08  - 17H08  Enjeux-Les Echos   ]

"Les partisans du statu quo en matière de représentativité des syndicats viennent de trouver un allié inattendu : les salariés eux-mêmes. Selon un récent sondage CSA commandé par l'Institut supérieur du travail et Entreprise et personnel, 51% des salariés du secteur privé se disent favorables au maintien des règles actuelles, présumant les syndicats nationaux représentatifs dans l'entreprise même s'ils n'y comptent aucun adhérent. Seuls 38% expriment leur adhésion à un changement de règles, comme le souhaite le gouvernement, mais aussi la CGT et la CFDT."

 

Consultez le sondage:

 

http://istravail.com/article369.html

 

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Syndicalisme français : des perspectives nouvelles

Le syndicalisme français vit des heures difficiles, qui se traduisent, venant des salariés, par une triple crise d’adhésion, d’audience, de confiance. Les raisons sont connues, extérieures ou internes au mouvement syndical. Est-ce, pour lui, le début de la fin ? Assurément, non. Des perspectives existent, laissant possible un redressement de la situation.

Sur les causes qui lui sont extérieures, tant en France qu’en Europe ou sur le marché du travail mondial, le syndicalisme français a bien évidemment des réponses limitées. Mais les marges de manœuvre et d’action existent.

Ainsi, les évolutions démographiques et les évolutions observées sur le marché du travail mettent en perspective, dans certains secteurs économiques, un retournement de la situation de l’emploi, pouvant se traduire par une raréfaction de la force de travail et, partant, par une tendance à la hausse des salaires.

L’organisation du marché du travail étant un besoin permanent du bon ordre économique français, européen et international, le syndicalisme voit ici une justification renouvelée de son existence. Les régulations sociales, les négociations sectorielles demeurent essentielles à la performance globale. Dans l’avenir, les négociations de branche peuvent être amenées - si elles ne sont pas étouffées par la valorisation excessive des négociations d’entreprise - à jouer un rôle régulateur du marché du travail.

Le mouvement syndical peut aussi s’adapter aux nouvelles données socioculturelles. Il peut par exemple, développer davantage une action en réseau, centrée sur le service individuel plutôt qu’une action en cohorte, toute centrée sur la notion de masse.

Les connexions avec les ONG et les associations peuvent aussi permettre d’ouvrir, sans le dénaturer, le projet syndical. Ce dernier s’est construit et se développe sur une logique « de producteur à producteur », c’est-à-dire sur une logique d’action collective mettant en relation (de négociation ou de conflit, selon les circonstances) des salariés et des employeurs au sein d’un même système, celui de la production.

Les questions sociales débordent aujourd’hui le champ strict du monde de la production. Elles se situent bien davantage dans la relation entre le monde de la production lui-même et les mondes qui l’entourent, avec les exigences que l’on voit s’exprimer : environnement et développement durable, consommation, responsabilité sociale d’entreprise, citoyenneté.

Cette évolution des questions sociales constitue une invitation à opérer de nouvelles relations entre syndicats, associations, ONG.

Un « modèle » qui n’en est pas un

Concernant les causes internes aux difficultés du mouvement syndical français, les réponses existent aussi. Il importe, pour s’en convaincre, d’observer la syndicalisation sur l’ensemble des pays européens, c’est-à-dire sur un espace politique, économique et social cohérent et en voie d’unification. Le taux moyen de syndicalisation peut être estimé, dans l’Union européenne, à plus du tiers, voire près de 40 % des salariés.

Les différences entre pays sont certes considérables : de 7 % pour la France, la syndicalisation s’élève à 30 % pour l’Allemagne, 50 % pour la Belgique et jusqu’à plus de 80 % pour les pays scandinaves.

Une moyenne européenne de 35 % ou 40 % n’a donc pas de signification forte. Mais elle souligne que, ailleurs en Europe, l’action syndicale a su s’établir et être reconnue des salariés. Le syndicalisme français n’est pas programmé pour rester le dernier de la classe européenne.

Une rénovation du système syndical français passe par la prise de conscience que le modèle syndical français n’a de modèle que le nom.

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Extrait du sondage CSA réalisé pour l’Institut supérieur du travail et Entreprise & Personnel en janvier 2008. Voir le sondage CSA

Deux actions majeures sont à développer :
- l’installation du syndicalisme français dans une démarche de responsabilité et de capacité gestionnaire,
- la réduction du pouvoir normatif de l’État et le développement de la régulation sociale par la négociation collective.

Le syndicat, c’est l’adhérent

Sur le premier point, les syndicalistes français observent la force de leurs homologues européens, qui fondent leur légitimité sur leur capacité à rendre des services à leurs adhérents. Services individuels ou collectifs, services immédiats ou différés certes, mais services. La légitimité du syndicalisme est bien celle que lui confère l’adhérent, le cotisant.

Cette vérité éclaire les procédures de définition de la représentativité syndicale en Europe. Nulle part sauf en Espagne, l’audience électorale ne constitue l’instrument de mesure de la représentativité. C’est l’adhérent et non pas l’électeur qui donne au syndicat sa légitimité et son pouvoir.

A l’heure où des réflexions s’opèrent en France sur la représentativité syndicale et où se développe le besoin de rénover les critères de cette représentativité, il est utile de souligner que la question de la représentativité est d’abord celle de la capacité du syndicat à représenter les salariés, à être proche d’eux, à les accompagner, à les servir, à les organiser, à les orienter aussi. Cette capacité fait du syndicat un agent de régulation sociale au quotidien et non pas un appareil de permanents qui se justifierait par intervalles dans de grandes élections sociales.

Vers un État modeste

Sur le second point, celui de la réduction du rôle normatif de l’État dans la vie sociale, il est clair que les partenaires sociaux n’ont pas encore obtenu la liberté d’agir librement entre eux. l’État, par la loi, établit la règle sociale plus souvent que l’accord entre partenaires sociaux, à la différence, là encore, de ce qui est observé ailleurs en Europe. La loi du 31 janvier 2007, qui affirme la capacité d’action des partenaires sociaux à négocier de façon autonome et prioritaire par rapport à l’action législative et étatique, n’est pas encore entrée dans les mœurs de nos gouvernements. Il s’en faut même de beaucoup.

La tradition française demeure celle de l’interventionnisme étatique. La construction européenne est en train de modifier cela.

Nos concitoyens observent que, dans le domaine social comme dans d’autres domaines, les statuts ne sont plus protecteurs et que l’État n’est plus aussi régulateur que par le passé. Les lois du marché s’imposent progressivement, qui font appel à la régulation par la négociation et les accords collectifs, sur un marché du travail qui n’est plus national.

Une réduction du rôle de l’État nécessite, en contrepartie, une volonté commune et une capacité permanente des partenaires sociaux à gérer par eux-mêmes les questions sociales. Pour l’heure, l’esprit d’initiative et la culture de la négociation ne sont pas encore partout au rendez-vous en France. L’appel à un État modeste, garant et non plus gérant de la vie sociale, ne peut se traduire dans les faits que si les corps intermédiaires de la société assurent solidement leur rôle de régulation. Entre l’interventionnisme de l’État et la tyrannie d’un marché du travail sans autre règle que celle du rapport de forces marchand, le rôle régulateur des partenaires sociaux a tout son sens.

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Ainsi, si les 1er mai ne chantent plus autant, le besoin d’organisation sociale n’a pas disparu. Il est en train de se déplacer et de se chercher de nouveaux chemins d’expression.

Le syndicalisme français vit une véritable crise, c’est-à-dire à la fois un risque de dépérissement grave et une occasion de se renouveler. Nous sommes aujourd’hui confrontés aux deux branches de l’alternative.