lundi 15 janvier 2007

lecture syndicale



Guy Groux(1), directeur de recherche du CNRS au Cevipof(2), Sciences Po Paris
© C. Lebedinsky/CNRS Photohèque
Où va le syndicalisme français ?

 Le récent départ de Marc Blondel, c'est le départ du dernier des grands dirigeants du syndicalisme qui ont marqué les années 1990. Des années qui restent des années « de crise » malgré de fortes mobilisations. Nouvelles scissions syndicales3, dispersion extrême, abstentions massives aux « prud'hommales », absence de résultats lors de nombreux mouvements sociaux, forment l'essentiel des traits qui dominent alors, dans un contexte de syndicalisation désespérément faible. Avec moins de 10 % de syndiqués, la France se situe, et de loin, au niveau le plus bas des pays de l'Union européenne. Dès lors, évoquer l'avenir du syndicalisme peut laisser perplexe. Pourtant, la question demeure. Elle découle du rôle que jouent les corps intermédiaires et représentatifs dans les démocraties modernes. Mais aussi des mutations économiques, techniques et internationales qui interpellent les acteurs sociaux et les conduisent à faire face à la mise en cause de règles et régulations liées au passé ou à l'essor de règles nouvelles. Dans ces contextes, le devenir des syndicats dépend de nombreux facteurs dont certains s'imposent avec force. Par exemple, leur influence sur les décisions qui concernent l'entreprise et l'emploi, ou leur rôle dans la constitution d'une « Europe sociale ». Pour pallier la faiblesse des syndicats français, il faut que leur influence passe par la concertation ou la négociation, gagne en importance au niveau local. Sur ce plan, divers efforts existent, même s'ils répondent à des buts distincts. Même s'ils relèvent de registres divers, ils s'attachent à donner plus d'assise à la « représentativité syndicale » et une légitimité accrue aux accords collectifs. C'est-à-dire à renforcer des traits qui, dans de nombreux pays, constituent souvent l'essentiel du pouvoir d'influence syndical. À l'évidence, c'est dans ce cadre que s'inscrivent les propositions de certains syndicats sur l'accord majoritaire4 ou celles du rapport de Virville sur des « élections de représentativité »5, pour ne citer que ces initiatives. Par-delà l'entreprise, existe l'Europe. Aujourd'hui, beaucoup déplorent l'absence de grands enjeux et d'utopies dans le monde syndical. Si l'utopie se mesure à la manière dont les projets qu'elle suscite s'inscrivent dans l'Histoire mais aussi aux difficultés qui s'opposent à leur réalisation et qui parfois donnent l'impression d'être insurmontables, alors la constitution d'un espace social européen face à ceux qui existent déjà – le marché unique, l'espace monétaire – relève bien de l'utopie. Dans les faits, la Confédération européenne des syndicats (CES) où siègent cinq organisations françaises, connaît désormais des évolutions qui peuvent la renforcer, à terme. Longtemps, la CES fut un pur appareil institutionnel sans prise sur le « réel ». Aujourd'hui, la situation se transforme même si pour certains, cela se fait à un rythme trop lent. L'essor de larges mouvements sociaux (Vilvorde, les routiers, etc), l'institution des syndicats dans les « Comités de groupes européens », la conclusion d'accords liant CES et patronat, constituent autant de premiers pas. Ou les jalons d'un devenir auquel les syndicats français participent à divers degrés, et qui impliquent en Europe la création de nouvelles conventions et régulations. Pour toutes ces raisons, l'avenir des syndicats ne saurait se traduire par « no future ». Bien au contraire.

Guy Groux



1. Auteur de Vers un renouveau du conflit social ?, Bayard, coll. « Société », 1998 et directeur de L'action publique négociée. Approches à partir des « 35 heures » – France-Europe, L'Harmattan, coll. « Logiques Politiques », 2002.
2. Centre d'étude de la vie politique française.
3. Scissions d'où naissent la FSU (Fédération syndicale unitaire) et l'UNSA (Union nationale des syndicats autonomes). Sud (Solidaires. Unitaires. Démocratiques) est créé juste auparavant, à la suite d'une scission touchant la CFDT.
4. « Accord majoritaire » : selon ces propositions, un accord ne peut être valide et appliqué à tous que s'il est signé par une ou plusieurs organisations ayant recueilli la majorité des voix aux élections professionnelles. Ce qui est contesté ici, c'est le principe de l'accord impliquant l'ensemble des salariés, même lorsqu'il est signé par des organisations minoritaires.
5. « Élections de représentativité » : il s'agit d'une proposition récente de la commission de Virville instituée par le ministre du Travail. La représentativité des syndicats qui relève aujourd'hui du droit serait soumise à un vote organisé tous les cinq ans, auprès des salariés concernés. À la représentativité octroyée par les pouvoirs publics, s'agrège ainsi une représentativité par le vote, ce dernier constituant en l'occurrence une sorte « d'instrument de mesure ».


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Guy Groux
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