Lu sur le site Libération-fr
Samuel Johsua professeur en sciences de l’éducation, université de Provence.
QUOTIDIEN : jeudi 20 décembre
Encore une marque de l’exception française, en principe la scolarité y fait «système». Et, cas rare en Europe, la formation initiale professionnelle fait partie intégrante de la scolarité d’Etat. Particularité que d’année en année les libéraux de droite et de gauche n’ont de cesse de vouloir éliminer. Dernier coup de boutoir en date venu de Xavier Darcos, la décision supprimer les BEP (préparés en deux ans) au profit des bacs professionnels (prévus en trois ans d’études). Après une diminution drastique dès l’an prochain, leur sort est scellé : dans une note du 20 octobre transmise aux proviseurs, le ministre indique clairement : «L’année 2008 sera mise à profit pour préparer la généralisation des baccalauréats professionnels en trois ans.» Comme nombre de mesures du gouvernement Sarkozy, celle-ci relève de ces décisions qui tombent comme un couperet. Aucune information, pas de concertation, masquage hypocrite des objectifs véritables de la réforme. Ceux-ci sont liés à une pure visée d’économie.
En effet, une proportion élevée de 46 % de titulaires du BEP, dont le niveau à la sortie du collège ne permettait pas d’imaginer d’emblée un bac pro, poursuit ensuite vers ce diplôme. En pratique, cela signifie qu’ils l’obtiennent alors en quatre ans ; la réforme vise donc à les priver d’une année d’études. Et le recul récent du ministre, acceptant que formellement un diplôme au nom de BEP puisse être délivré au cours de ces trois ans, n’y changera rien. Une année sera perdue. Par ailleurs, une forte proportion de ceux qui s’engageaient hier en BEP sera demain découragée d’entreprendre un bac pro. Ces élèves seront alors dirigés hors du système d’Etat, vers des structures de formation à l’apprentissage relevant du privé ou des collectivités territoriales. Nouveau bénéfice pour le budget national, nouveau coup porté au système public. Quant à ceux, nombreux, qui n’ont pas atteint 16 ans à l’issue du collège, mais dont le niveau ne permettra pas de s’engager vers le bac pro, ils sont bons pour un redoublement de la troisième, en pure perte la plupart du temps. Où l’on voit que la recherche effrénée d’économies budgétaires à un niveau peut se payer de frais inutiles à un autre niveau, tout en renforçant les difficultés du collège à faire face à ses obligations.
Chaque contre-réforme éducative est conduite depuis plus d’un quart de siècle au nom des élèves en forte difficulté. Au final, ce sont pourtant eux qui à chaque fois payent un prix de plus en plus lourd. Véritable deuxième chance donnée à des dizaines de milliers d’entre eux, la préparation d’un BEP dans un lycée professionnel public (et pour certains, ensuite, celle d’un bac pro) était de trop. Certes, l’entrée dans la vie active est devenue un chemin de croix pour toute une génération, promise à la précarité. Mais pour ceux dont les origines sociales sont modestes, c’est encore plus dur. Des damnés du système scolaire. Sarkozy nous a expliqué que les événements de Villiers-le-Bel n’étaient en rien liés à une crise sociale. Dans les quartiers populaires, celle-ci est pourtant permanente et multiforme. Elle est préparée par les politiques libérales entièrement favorables aux classes privilégiées, et qui se déclinent par une multitude de mesures dont la logique semble échapper à la gauche institutionnelle. Quand la jeunesse se soulèvera de nouveau dans les banlieues, combien se souviendront des mesures Darcos contre les BEP ?